Légitimité des politiques de reboisement des palétuviers en Casamance
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Date
2015Author
Cormier-Salem, Marie-Christine
Diéye, El Hadji Balla
Sané, Tidiane
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Parmi les multiples fonctions attribuées aux mangroves (digue
naturelle contre les cyclones et les tsunamis, protection contre
l’érosion côtière, biodiversité, purification de l’air et de l’eau, etc...),
ces dernières années, une attention particulière a été accordée à leur
fonction de puits de séquestration du carbone. Ainsi les campagnes
de reboisement des palétuviers se sont accélérées dans le cadre du
mécanisme REDD+ (Réduction des Emissions liées à la
Déforestation et à la Dégradation). Cet intérêt renouvelé invite à
analyser les ressorts et conséquences des initiatives tant publiques
que privées de reconquête des mangroves pour atténuer le
changement climatique.
Dans cet article, après avoir resitué les enjeux internationaux,
nous analysons les effets des politiques publiques en matière
d’environnement et de biodiversité sur les dynamiques locales et
nous nous interrogeons sur la légitimité écologique mais aussi
sociale et économique des campagnes de reboisement des
palétuviers. Les campagnes menées à grande échelle par l’ONG
Océanium en Basse Casamance nous servent de cas d’étude.
Les travaux conduits depuis plusieurs années au Sénégal et plus
largement dans les mangroves des Rivières du Sud, du Sénégal à la
Sierra Léone (Cormier-Salem, 1992; 1994 ; 1999 ; Dièye, 2007,
2011 ; 2013) et plus récemment dans le cadre du LMI PATEO
« Patrimoines et Territoires de l’eau » (www.pateo.ird.fr), montrent
que : 1) les mangroves sont bien plus que des forêts de palétuviers
qui séquestrent le carbone. En Basse Casamance, les populations
diola y ont aménagé des terroirs rizicoles, contrôlés par des droits
coutumiers, transmis de générations en générations. Ces paysages de
marais aménagés entre terre et mer constituent le patrimoine des Diola. 2) Si les mangroves de Casamance ont dramatiquement reculé
dans les années 1970-90 pour diverses raisons, climatiques et
anthropiques, depuis deux décennies, on assiste à une dynamique
progressive. 3) Les plantations de milliers d’hectare de Rhizophora
mangle ont eu un fort succès médiatique. Néanmoins, elles n’ont pas
eu les effets escomptés: elles permettent une accélération de la
reconquête des fonds vaseux qui, quand les conditions hydro sédimentaires sont réunies, sont “naturellement” recolonisés par les
palétuviers ; outre les nombreux échecs des reboisements et
l’absence d’un marché du carbone, les effets sur la biodiversité ou
sur le bien-être des populations locales sont sujets à débat, faute de
suivi scientifique; 3) les reboisements s’accompagnent d’une
enclosure des fonds vaseux au détriment des droits d’usage et
d’accès des populations locales.
Ainsi, les campagnes de reboisement, en privilégiant un service
(dans le cas présent, la séquestration du carbone) ou un
compartiment de cet écotone (ici, les palétuviers), voire une espèce
(ici les Rhizophora mangle), peuvent aboutir à des synergies
négatives entre services et à des processus d’injustice environnementale. Elles servent bien souvent davantage les intérêts de certains
acteurs (compagnies privées, ONG..) que la cause de la biodiversité
ou du changement climatique.